Le projet scientifique de l’ENSA Normandie interroge la nature d’une école d’architecture localisée en Normandie et son rapport au monde que ce territoire d’implantation lui ouvre.

©Annliz Bonin

La Normandie cumule deux caractéristiques fortes :

  • une identité reconnue mondialement : sa production agricole, sa façade maritime articulée à la Seine, son histoire liée à la deuxième Guerre Mondiale ;
  • une proximité immédiate avec la région capitale de l’Île de France et dans l’axe Seine, qui permet de bénéficier des expertises et dynamiques économiques du Grand Paris.

La possibilité de mieux articuler l’espace métropolitain à son hinterland devient un enjeu stratégique à plusieurs échelles, tant au niveaux des ressources naturelles (alimentation, construction) que dans la maîtrise des économies décarbonées (industries, services, transports).

Au regard des caractéristiques géographiques, économiques, scientifiques et culturelles de la Normandie, nous pouvons identifier trois orientations majeures pour l’ENSA Normandie :

  1. l’environnement ;
  2. le territoire ;
  3. l’héritage architectural.

L’environnement : région agricole et sylvicole

La maîtrise des paysages et des futures ressources de la construction

La Normandie est une région agricole (70 % du territoire et 2 millions d’hectares) où se côtoient des territoires d’élevage et des zones de culture, leader national pour la consommation de bois énergie fournissant l’industrie et les particuliers localement. Elle accueille des industries d’envergure internationale et surtout, la filière bois se caractérise par la présence de compétences à tous les maillons de la chaîne de transformation et de valorisation du bois depuis l’amont, en passant par les transformateurs primaires et secondaires , jusqu’à l’aval de la filière. La force de la Normandie est de disposer d’une recherche académique reconnue internationalement et nationalement, constituée de plusieurs fédérations de recherche, dont certaines, labellisées par le CNRS, INRAE, IRD ou MNHN.

La Région souhaite conforter sa position de leader sur le développement et la valorisation des matériaux biosourcés. Elle dispose de structures de recherche dans le domaine : Laboratoire de recherche de l’ESITC : efficience, performance, durabilité des matériaux pour la construction, INTERACT, d’UniLaSalle, recherche appliquée inter-disciplinaire (SHS, SdlV, sciences de l’ingénieur) pour le développement durable de l’agriculture, de l’agro-alimentaire et de l’agro-industrie), Chaire Agro-ressources et Matériaux biosourcés Normandie – AMBIOS (dont l’ENSA Normandie est partenaire). La Normandie reste aussi un territoire de traditions dans la construction en bois, terre et paille. Elle dispose de centres de formations d’apprentis ou de compagnons de devoir reconnus dans ces domaines. Elle a aussi développé un réseau d’acteurs dans ce domaine, impliquant concepteurs et entreprises de la construction (réseau ARPE).

biosourcé
© Raphael Rattier

De son côté, l’ENSA Normandie a développé des recherches et des pédagogies innovantes sur la construction bio et géo-sourcées, réunies sous l’actuel chaire « Ressources naturelles renouvelables ». Elle peut donc devenir une école leader dans l’appréhension de la construction contemporaine issue de ces nouvelles ressources en approfondissant les relations avec les partenaires normands et internationaux. Cela suppose de construire un savoir spécifique dans la compréhension des paysages et de la structuration des filières de matériaux, dans la caractérisation des milieux et du biotope, des qualités structurelles des végétaux et des roches. L’architecture comme élément de production de biodiversité peut élargir et compléter cette problématique dans la mesure où elle vise une meilleure articulation entre ressources et construction.

Workshop Guadeloupe 2019 ©Rémi Ferrand

Le territoire : région littorale et fluviale

La maîtrise des risques naturels et climatiques dans l’aménagement urbain

Avec 640 km de côtes, la Normandie est d’abord une façade maritime de la France, face à la plus grosse autoroute maritime du monde, la Manche. Elle est aussi l’interface fluviale et terrestre avec la région capitale et les ports hanséatiques. L’axe Seine, qui relie par voie navigable et terrestre l’Île-de-France à la Manche, est un vecteur de développement économique important qui fait de la Normandie la première région logistique de France et Rouen le premier port exportateur de céréales d’Europe. Toutes les métropoles normandes sont fondamentalement liées à cette situation géographique, et la majeure partie de la population de la région vit en bordure de l’eau. Le changement climatique est un facteur de risque pour le territoire. En Normandie, selon différents scénarii, il est attendu une modification des conditions météorologiques, avec une augmentation des températures de type canicule et sécheresse, des épisodes de fortes précipitations, des tempêtes, et une hausse du niveau marin.

L’ENSA Normandie travaille depuis plusieurs années sur des territoires soumis à ces risques naturels, en Normandie, en Guadeloupe ou au Vietnam. Elle a récemment développé une chaire « Habiter avec l’eau » pour solidifier ces initiatives. Elle a donc tous les atouts pour devenir un partenaire majeur des dynamiques scientifiques et pédagogiques normandes sur la question des risques naturels. Elle peut s’appuyer sur les partenariats construits avec l’Institut d’Urbanisme de Normandie pour étoffer ses formations et ses expertises à l’échelle urbaine.

L’héritage architectural : région industrielle et reconstruite

La maîtrise de la décarbonatation dans le ré-usage des héritages construits

La Normandie fut un théâtre majeur de la Seconde Guerre mondiale. Cette histoire singulière, qui en fait la deuxième région la plus connue au monde après la Californie, a considérablement transformé les structures urbaines par les bombardements suivis de la Reconstruction. Evreux, Caen, Rouen, Lisieux, Cherbourg, Le Havre, les villes principales ne sont pas épargnées, parfois rasées à plus de 90 %. Les plus grands architectes français vont participer à la Reconstruction. Cet élan aménageur s’accompagne de l’industrialisation massive de la vallée de la Seine, comme Renault à Sandouville et Airbus à Vernon. Présentes dans toute la Normandie, les villes reconstruites souffrent d’une perte de vitalité et d’attractivité qui se traduit notamment par une vacance de logements, de commerces et de services.

PFE transform
PFE ©Viandier Boudot Goubert

L’ENSA Normandie a créé il y a 20 ans un Master en réhabilitation avec l’Université du Havre Normandie. Fort de cette reconnaissance nationale, elle a tous les atouts pour développer une expertise sur la transformation des sites existants au regard des enjeux environnementaux. La capacité à recycler l’existant, de l’élément architectural à l’îlot en passant par l’édifice peut constituer une perspective de développement de recherches et d’expérimentations à l’échelle internationale.